« Et le deuxième bébé il est pour quand ? »
Cette petite question anodine m’a été posée pour la première fois par la sage-femme après mon accouchement où mon fils et moi avions tous les deux faillit perdre la vie. Elle m’a été posée pour la première fois alors que je n’avais même pas encore pu tenir ou voir mon enfant emmené inanimé en catastrophe quelques minutes plus tôt par les médecins.
Aujourd’hui je n’aime toujours pas cette question que l’on nous pose comme si elle allait de soi, que tout le monde voulait forcément un deuxième enfant et qu’il était normal de s’inviter dans ce débat qui pourtant reste assez intime et n’intéresse a priori véritablement que deux personnes.
Bref une question un peu intrusive mais qui n’est pas la seule.
Déjà enceinte des inconnus m’arrêtaient dans le supermarché pour s’assurer que j’avais bien prévu de donner le sein à mon bébé. Évidemment ils n’hésitaient pas à me faire part de leur désapprobation lorsque j’osais parler honnêtement de notre option biberon…
Après vous avoir récemment parlé de tout ça avec vous sur les réseaux, vous avez été nombreux à témoigner et à partager le mal être que l’on peut ressentir face à ce type de questions.
Je me suis donc dit qu’il fallait également que nous puissions en parler ici pour essayer de creuser davantage le sujet.
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Les questions intrusives et sujets tabous
Vous avez été très nombreux à m’envoyer sur Facebook et Instagram vos témoignages pour me faire part des remarques maladroites, parfois plus que blessantes (et disons le tout simplement abominables), mais surtout intrusives auxquelles vous avez déjà pu être confrontés.
Les remarques ci-dessous sont donc celles que vous m’avez faites parvenir…
Il y a les questions qui touchent à notre sphère familiale avant même d’avoir des enfants :
Il va quand même falloir te penser à te trouver quelqu’un ? Mais tu veux finir vieille fille ou quoi ? Tu penses à tes parents au moins ?
Félicitations, je suis contente que tu aies trouvé quelqu’un et du coup le mariage est pour quand ?
A ton âge, tu vas bien te décider à nous en faire un tout de même ?! Tout le monde veut des enfants, tu verras quand il sera là !
Et puis une fois que l’on a trouvé sa moitié arrivent vite les questions, nombreuses, concernant les enfants :
La question du 1er enfant, 2ème, 3ème…
Mais vous n’arrivez pas à avoir d’enfant ou quoi ? Tu as pensé à voir un docteur parce que tu as peut-être un problème ?
Et le prénom, vous pouvez nous le dire quand même ? Vous ne pouvez pas l’appeler comme ça c’est abusé !?! Et sinon, ce prénom c’est vraiment définitif ?
Bon et le 2ème faudrait y penser quand même, vous n’allez pas le laisser tout seul celui-là ce serait vraiment pas sympa ? Il va s’ennuyer vous en avez conscience ? Bon et le deuxième c’est pour quand on l’attend nous hein ?^^ Au fait il est pour quand le prochain parce la montre tourne l’air de rien ?
Ah bon, tu es enceinte… Mais c’est un accident que vous avez décidé de garder ? Ah mais du coup vous allez en faire un autre pour tenter d’avoir une fille cette fois quand même ? A votre âge, vous êtes sûr de vouloir encore un autre enfant ?!? C’était vraiment volontaire de les faire aussi rapprochés ? Tu es enceinte c’est bien hein, ça me fait plaisir pour toi ne te trompe pas mais vous êtes sûr que vous pouvez vous permettre d’avoir un autre enfant étant donné votre situation financière ? Ce n’est peut-être pas très raisonnable ? Ah mais vous êtes vraiment contents de cette grossesse parce que je pensais que vous le gardiez mais que c’était un accident finalement ?
Les fausses couches ça arrivent, tu vas t’en remettre, ce n’est pas comme si tu l’avais tenu dans tes bras ce bébé tu t’en rends compte quand même ? Mais tu savais bien que ça fait partie des risques ? Tu réalises bien que ce n’était pas encore vraiment un bébé ? Il n’était pas encore viable, la nature est bien faite, ça devrait te rassurer au contraire tu n’es pas d’accord ? Mais tu n’est pas la seule pourquoi tu te prends la tête à ce point ?
Adopter c’est bien, c’est une belle action, mais ce n’est pas pour vous à mon avis, vous pouvez faire autrement…vous y avez pensé ? Vous avez une idée au moins de qui sont ses vrais parents biologiques ? Vous êtes sûrs de vouloir adopter parce que vous avez des enfants naturels… vous risquez de moins l’aimer ce serait dommage non ?
Et quand il sera là, tu lui donneras bien le sein rassures-nous ? Mais tu vas lui donner le sein encore longtemps ?
Alors et l’accouchement raconte nous, on veut tout savoir ??? Oui ça a été compliqué mais c’est comme ça pour tout le monde, ça reste un accouchement tu sais ? Ne t’en fais pas tu oublieras, tu es au courant que le corps n’a aucune mémoire de la douleur ? Tu exagères un peu non ? Il va falloir t’en remettre, c’est derrière toi tout ça maintenant tu le réalises ?
Et ça y est vous avez pu reprendre une vie sexuelle normalement ? Mais tu n’as pas peur de trop le faire attendre le pauvre ? Et la douleur pendant les rapports ça va ?
Bon et sinon tu penses à reprendre le travail parce que tu ne vas quand même pas t’enfermer dans ce rôle de maman, c’est pas pour toi ce genre de choses tu vaux mieux que ça ?
Mais du coup tu as pris combien de kilos avec ta grossesse? Et tu comptes faire comment pour perdre ce qu’il te reste ?
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Pourquoi les gens s’invitent dans notre vie ?
Ceux qui bien souvent nous disent avec assurance que si il est absolument essentiel de « savoir s’écouter » parce que « les parents sont les mieux placés pour savoir ce dont leurs enfants a besoin ». Ceux-là sont aussi nombreux à avoir un avis sur l’allaitement, sa durée, les caprices de bébé, le nombre d’enfant à avoir ou encore l’écart d’âge parfait.
Ces petites phrases prisent isolément sonnent avec moins de dureté ou de jugement. Elles sont d’ailleurs souvent prononcées sans penser à mal. Au contraire je crois même que bien souvent les gens y voient un témoignage d’intérêt ou une marque d’attention.
Peut-être même arrive t-il d’ailleurs à ceux qui n’aiment pas recevoir ces questions de les poser à leur tour…?
Ce qui me frappe le plus reste l’origine de ces remarques. Finalement ce qu’il y a de plus fou, c’est qu’elles peuvent venir de n’importe où, n’importe qui. Un collègue, une amie, un inconnu dans la rue, la famille… De partout !
Je crois que c’est un peu ce qui fait leurs spécificités. Pourquoi dès qu’il s’agit de parentalité les gens se sentent-ils légitimes à s’inviter dans votre intimité ?
A y regarder de plus près il en est de même pour certaines remarques plus enthousiastes, compréhensives, encourageantes… Elles viennes de toute part aussi mais nous les recevons simplement bien plus facilement.
Une remarque venant d’un inconnu nous paraitra bien plus déplacée mais nous atteindra bien moins que celle d’un proche.
Dans le même temps nos proches se sentent légitimes pour poser ce genre de questions ou faire de telles remarques. Ils y voient même souvent une marque d’attention. Et finalement quel degré de proximité faut-il en effet avoir pour avoir ce type de conversation ?
Je crains qu’il n’y ai pas de règles en la matière.
En ce qui nous concerne la question du 2ème enfant me dérange d’autant plus quand elle vient de nos proches. Ils nous connaissent justement et n’ignorent donc rien de l’état de santé du chéri. La conséquence est donc que lorsqu’ils nous posent ce type de questions nous avons clairement l’impression qu’ils ne connaissent pas si bien que ça et surtout ne nous comprennent pas. D’autant que cela ne fait que mettre l’accent sur cette pression qui exige à tout prix de nous que nous ayons une jolie carrière, un beau mariage, deux enfants et une maison avec un chien.
En revanche si je prends une tout autre question comme celle par exemple de l’allaitement au biberon les remarques de nos proches nous affectaient, non pas parce que nous étions dans une « situation particulière » mais parce que nous étions jugés et que nous nous heurtions à un mur d’incompréhension catégorique.
Le problème est donc aussi là quand la proximité offre finalement davantage un droit de jugement y compris à nos proches, qu’il soit conscient ou inconscient et avec ou non une bonne intention.
Finalement je me demande si la dureté des gens, quels qu’ils soient, n’a pas plutôt vocation à les rassurer sur leurs propres choix ou idées qu’ils se font de l’éducation qu’ils ont donné, donnent ou voudraient donner à leurs enfants.
Je tiens tout de même à dire qu’il me semble que toutes les remarques du précédent paragraphe ne sont pas à mettre au même plan.
Certaines sont très intrusives et peuvent mettre mal à l’aise tandis que d’autres sont plutôt là pour minimiser et éviter un sujet dont on pourrait au contraire avoir besoin de parler (je pense par exemple à la question des fausses couches).
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Et maintenant on fait quoi ?
En y réfléchissant, le problème est aussi que ces questions sont très ancrées dans notre société et ne sont donc peu remises en question. Il semble souvent normal de demander comment s’est passé l’accouchement en détails ou à quand le prochain bébé. Il n’y a qu’a voir d’ailleurs le naturel avec lequel ces questions sont posées.
A l’inverse, sur les sujets plus tabous pour lesquels on peut au contraire avoir besoin de s’étendre les gens ne sont pas forcément là où on les attend.
Peut-être y a t-il là aussi un reflet des questions que la « société » estime que l’on peut ou non poser. On demande naturellement à quand le prochain bébé mais l’on minimise dans le même temps la fausse couche…
Je me suis fait cette remarque en repensant à cette fameuse coutume qui veut que l’on ne parle pas de sa grossesse avant la fin du premier trimestre. Traditionnellement on évite d’en parler tant qu’il y a encore un risque conséquent de fausse couche. En attendant tout ce temps la grossesse reste notre petit secret et en cas de mésaventure… On se retrouve facilement seule avec son conjoint pour affronter ce deuil dont l’entourage ignore l’existence. Par tradition, on demande donc aux futures mamans de taire leur grossesse et d’assumer secrètement les risques qui vont avec. La société n’a pas besoin des mauvaises nouvelles mais uniquement de savoir que « Youpi » le premier trimestre est passé !
Dans tous les cas je ne crois pas vraiment que l’on puisse mettre un terme à toutes ces remarques ou questions.
En même temps, dire qu’il suffit de prendre de la distance est bien plus facile à dire qu’à faire.
Et si finalement le mieux était d’en discuter simplement avec les gens qui nous font ces remarques ? J’ai vu sur les réseaux et avec vos témoignages à quel point nous pouvons être nombreux à ne pas les apprécier.
Pour qu’une prise de conscience collective se fasse sur ce sujet il faut en parler. Pourtant en échangeant avec vous j’ai l’impression que nous sommes plus nombreux à être gênés, voir honteux, face à ces remarques qu’à oser dire les choses (peut-être d’ailleurs que nous les avons nous même intégrés comme étant des questions et remarques normales ?).
Plus facile à dire qu’à faire me direz-vous mais en même temps si nous sommes si nombreux à désapprouver ces remarques il y a fort à parier qu’avec un peu de patience et de pédagogie la plupart de nos interlocuteurs comprendront, non ?
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J’espère que je ne vous aurais pas trop perdus dans ma réflexion… En plus il faut dire que je vous laisse ici sur une note d’espoir assez mince et pas de véritables solutions. En même temps s’il y avait une solution miracle cet article n’aurait pas lieu d’être.^^